L’Encrier
C’est par un soir d’hiver qu’un très vieil encrier
Pesamment assoupi, remisé au grenier
S’est enfin réveillé et soudain écrié :
« Que me soient apportés ma plume et du papier
Afin que, et sans nul besoin d’un conseiller,
Je puisse vous conter mes ans dépenaillés.
Je vous parle d’un très lointain siècle dernier
Du temps où j’apportai mon aide à l’écolier
Brave petit soldat tachant son tablier.
Quand la plume crissait, nourrie d’encre violette,
Qu’en leçon la morale imposait d’être honnête,
Tel était mon décor où ronronnait le poêle
Accueillant un ami, cancre cher au poète (1)
Faudrait-il regretter, et moi en tout premier,
L’image d’Epinal d’un docile écolier
Posant pour la photo, vêtu de blouse grise
Et rabâchant les mots de ses leçons apprises
Enfants qui m’écoutez, surtout ne riez pas
Des souvenirs moisis d’un encrier gaga
De son jus sont sortis maints propos libertaires
Quand il fallait oser plutôt que de se taire,
Tremper la plume hardie pour dénoncer la guerre »
Chers audi-lecteurs, ceci était un message
Du ministère des inconvenants pas sages
Vous pourrez retrouver dans un vide grenier
La complète édition des écrits d’encrier
Mémoires d’origine établies authentiques
Par tampon d’un hussard noir de la République
Que très souvent l’on montrait agitant la trique,
En rouge corrigeant les cahiers bredouillants .
D’élèves peu sérieux quand ils n’ont que sept ans
Lassé des controverses sur les us et méthodes
Que de doctes esprits ont voulu mettre en code,
Notre frêle encrier a rejoint en sous pente
Les objets déclassés proposés à la vente
Ainsi notre passé, mes beaux enfants chéris,
Finit par ressembler à un tas de débris.
(1) Jacques Prévert
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